mercredi 30 juin 2010

Le parking (écrit le mercredi 16 juin 23h)


[Vous êtes garé illégalement sur le terrain de ….
Vous recevrez dans les plus brefs délais une contravention.
Jusque-là, abstenez-vous de tout règlement. - Le responsable de l'administration]


Ce pauvre établissement universitaire souffre d'un manque chronique de places de stationnement. La direction publie alors une directive stipulant que le (petit) parking de la cours intérieure est désormais réservé à la direction de l'établissement et aux doyens des facultés. Le grand parking est destiné à tous les autres employés de la maison.
Cette directive règle, certes, la situation pour qq. privilégiés mais pas pour l'ensemble du personnel.
Sur la liste de diffusion, je fais quelques propositions qui permettraient de résoudre le manque de places de stationnement. Des collègues me répondent en suggérant d'autres solutions. Je contacte alors la direction pour lui demander l'autorisation de réunir ces collègues et un représentation du service régional des bâtiments (car le terrain du parking relève de la compétence de ce service). La direction répond que elle seule est habilitée à négocier avec ce service. Sachant que ce service a actuellement d'autres priorités (sécurisation incendie des bâtiments, etc.), le parking n'est certainement pas son premier souci.
Par contre, la direction a avisé l'administration de poser des fiches (voir l'exemple ci-dessus) sur le pare-brise de ceux et celles qui continuent à se garer sur le "parking des chefs".

Le style de cette fiche est savoureux employant le jargon bureaucratique habituel de mépris envers le "contrevenant", qu'il soit "étranger" à l'établissement (les collègues étrangers invités me le font remarquer à chaque visite) ou employé.
La phrase la plus succulente est la dernière : "Jusque-là, abstenez-vous de tout règlement." L'auteur semble penser que le contrevenant, affolé par son acte illégal et culpabilisant de ce fait, s'apprêterait à payer immédiatement à la police l'amende (dont il n'a même pas reçu le procès-verbal). En effet, la culture allemande connaît la notion de l'obéissance anticipante ("vorauseilender Gehorsam") ; puis, nous nous trouvons dans un établissement de formation d'enseignants. Il doit donc y exister des individus qui réellement envisageraient de payer l'amende avant d'avoir reçu l'ordre de la payer. – L'auteur de ce savoureux texte joue sur tous ces registres à la fois : culpabilisation, peur du gendarme, obéissance à l'ordre. Il mérite déjà le prix du "meilleur mémoire" de fin d'études.

En tant que bon linguiste de terrain, je me suis alors renseigné auprès de l'administration pour savoir quelle est la portée illocutoire et perlocutoire de cet énoncé. Voici l'implication de cet acte de parole :
- un administratif pose la dite fiche sous votre essuie-glace, note le n° immatriculation de votre voiture, la couleur et la marque de voiture et faxe toutes ces informations à la police ;
- la police recherche le propriétaire de la voiture et – s'il habite en Allemagne – lui envoie un P.V. de 10 € pour stationnement interdit.

Malgré les mérites stylistiques de cet auteur, on pourrait toute fois lui conseiller de respecter, à l'avenir, davantage les maximes rhétoriques de "quantité" (dites la quantité d'informations nécessaires, ni plus ni moins), de "qualité" (dites ce que vous considérez vrai), de "pertinence" (parler à propos, évitez les sous-entendus) et de "manière" (soyez clair et précis).
Quant au contenu, le texte est non seulement un beau texte technocratique dont le modèle demande à être imité par les futurs enseignants que forme cet établissement ; il est également tout à fait approprié à servir comme modèle éducatif pour les futurs générations d'enfants : comment gérer et régler un problème qui concerne tous – comment être à l'écoute de l'autre – comment cultiver le civisme.

24-08-2010 : Cela commence bien : je viens d'écrire un premier jet et mon blog ne l'a pas enregistré… Je recommence alors l'écriture.
"De toute évidence", il paraît que je n'aurais pas ma place dans l'institution. Je la réclame. Je suis en marge de l'institution : j'ai une double culture - et j'en joue (j'en suis conscient). J'ai une autre orientation sexuelle. Je ne la clame pas des toits, je ne la tais non plus. Je la vis "normalement" comme chacun vit sa vie privée sur son lieu de travail. Ainsi, "cela" se sait.
Cela dit, je dois me poser la question : "Qui suis-je pour que l'institution me donne ma place, prenne en considération cette marginalité ?! Est-ce son rôle ? Est-ce que je n'attends pas trop de l'institution (= rôle paternel) ? "Elle a certainement d'autres chats à fouetter" comme on dit.
Cette réflexion ne pardonne pas le comportement de institution que je considère comme "goujat" quant aux places de parking manquantes. Mais cela l'excuse.